En 2016, cinq ans après le début de la guerre civile syrienne, le conflit s’était transformé en une mosaïque complexe d’interventions étrangères et d’acteurs non étatiques concurrents.
Le régime d’Assad, affaibli par des années d’usure mais soutenu par des appuis extérieurs, restait solidement ancré dans l’Ouest. Daech dominait Raqqa et la vallée de l’Euphrate.
Pendant ce temps, le PYD/YPG, dominé par le groupe terroriste PKK et soutenu par des pays occidentaux, étendait progressivement son influence dans le nord de la Syrie.
Cette fragmentation du paysage politique et territorial syrien a eu des conséquences directes et immédiates pour la Turquie.
À l’été 2016, Ankara se retrouvait au centre d’un ordre régional en rapide détérioration.
Alors que l’autorité de l’État s’effondrait le long de sa frontière sud et que des acteurs non étatiques et des groupes terroristes s’enracinaient dans le vide laissé, la menace pour la sécurité nationale de la Turquie devenait de plus en plus tangible.
Du point de vue d’Ankara, cet enchevêtrement d’autorités de facto ne représentait pas un nouvel équilibre, mais l’émergence progressive d’un encerclement stratégique.
Le long de sa frontière sud, Daech ciblait les villes et les civils turcs avec des attentats-suicides et des tirs de roquettes.
Menace contre la stabilité régionale
Au nord d’Alep, le PYD/YPG tentait d’établir un corridor terroriste contigu, une issue menaçant la stabilité régionale.
Aucun autre membre de l’OTAN ne faisait face à un paysage de menaces aussi immédiat, multidimensionnel et géographiquement proche que la Turquie.
Dans un effort pour prévenir une déstabilisation supplémentaire, Ankara a proposé à plusieurs reprises la création d’une zone de sécurité dans le nord de la Syrie.
Ces propositions turques, présentées aux organisations internationales et aux principaux acteurs du conflit comme un moyen de sécuriser ses frontières et de protéger les civils déplacés, n’ont pas reçu de soutien significatif.
Face à des menaces qui se chevauchent et en l’absence de réponse multilatérale crédible, Ankara a jugé qu’une opération militaire directe était la seule voie viable pour sauvegarder sa sécurité nationale.
Le 24 août 2016, la Turquie a lancé l’opération Bouclier de l’Euphrate, invoquant l’article 51 de la Charte des Nations Unies, qui affirme le droit inhérent à la légitime défense.
L’opération avait deux objectifs immédiats : éliminer Daech d’une portion critique de la zone frontalière et bloquer les efforts du PYD/YPG pour consolider son contrôle dans le nord de la Syrie.
Succès stratégique
Sur le plan opérationnel, les résultats de l’opération « Bouclier de l’Euphrate » ont été clairs et immédiats.
En sept mois, les forces turques ont sécurisé plus de 2 000 kilomètres carrés de territoire dans le nord de la Syrie, libéré 243 villes et villages et neutralisé ou capturé plus de 3 000 membres de Daech.
Près de 20 000 cibles de Daech ont été engagées, avec comme point culminant la prise d’al-Bab le 24 février 2017, une ville de haute valeur stratégique.
La Turquie est ainsi devenue le seul État membre de l’OTAN à lancer une opération terrestre et à combattre directement Daech sur le champ de bataille.
Pourtant, la véritable importance de l’opération se situe au-delà du champ de bataille.
L’opération « Bouclier de l’Euphrate » a marqué un tournant, lancée à un moment où l’État turc était soumis à d’importantes pressions internes et externes.
Suite à la tentative de coup d’État du 15 juillet et face aux menaces simultanées du FETO, de Daech et des organisations terroristes PYD/YPG, l’opération est devenue une réponse stratégique nécessaire.